Penser l’Afrique de demain… Entretien avec Gilles Yabi, fondateur du think tank WATHI
Gilles Yabi est béninois de naissance et docteur en économie de l’université de Clermont Ferrand. L’économie du développement a toujours été son principal domaine de prédilection. Il a travaillé comme journaliste à Jeune Afrique, puis comme analyste politique pour l’International Crisis Group, pour lequel il a effectué des missions dans toute l’Afrique de l’Ouest. Après un passage comme consultant indépendant à Bamako, il revient à Dakar pour diriger le bureau Afrique de l’Ouest de l’ICG, où il passe trois ans de 2011 à 2013. Il démissionne ensuite pour se consacrer à la création du WATHI, un think tank « communautaire » dédié notamment aux problématiques ouest-africaines ainsi qu’aux questions qui touchent l’Afrique en général. Gilles Yabi est l’exemple même d’un « rapatrié » talentueux, parti étudier à l’étranger mais qui revient volontiers sur le continent dont le présent et l’avenir ont constitué le socle et la pierre angulaire de ses projets professionnels et personnels. Nous avons souhaité lui donner la parole dans ce blog car il défend une philosophie très proche de celle que nous défendons chez Enko Education : une initiative panafricaine qui cherche à construire ensemble ce continent à partir de solutions conçues ici même.
Pourquoi avez-vous décidé de créer WATHI ? Pouvez-vous nous raconter la genèse du projet ?
Il s’agit d’un projet qui a mis plusieurs années à se construire. J’en avais déjà l’idée lorsque je terminais mes études en France, mais elle était plutôt centrée sur le Bénin, mon pays d’origine. Mais mon expérience ultérieure avec l’ICG en Afrique de l’Ouest m’a amené à repenser l’échelle du projet et à lui donner une dimension régionale. L’idée initiale était de créer un cadre de réflexion et d’action collective, œuvrant pour le bien-être des populations. Beaucoup d’Africains qui, comme moi, ont quitté le continent pour étudier à l’étranger se posent cette question : comment éviter d’être vu individuellement par les « autres » comme le représentant d’un continent qui est en dernière position, en termes de développement ? Depuis, je me suis éloigné le plus possible de ces idées de « développement » et de « sous-développement », mais la question initiale n’a pas changé. La recherche d’une réponse individuelle sous forme de choix professionnels s’est rapidement transformée en une volonté de construire quelque chose de collectif et d’utile qui révolutionnera nos pays et nos communautés.
Qu'est-ce que WATHI ?
Il s’agit d’une association qui compte aujourd’hui une centaine de membres de différentes nationalités, qui vivent dans de nombreux pays d’Afrique, d’Europe et d’Amérique. L’idée est de réunir des individus qui soutiennent l’initiative de créer un laboratoire d’idées ancré en Afrique et ouvert à tous. Les membres de l’association n’ont pas forcément le temps de s’impliquer dans la production intellectuelle et la diffusion des connaissances. Le travail quotidien est effectué par une petite équipe, dont les membres préparent les contenus très variés du site Internet et assurent la diffusion des publications, notamment via les réseaux sociaux. Notre zone géographique d’intérêt prioritaire est les 15 pays de la CEDEAO ainsi que la Mauritanie, le Tchad et le Cameroun, qui bordent les régions voisines d’Afrique du Nord et d’Afrique centrale. Nous souhaitons participer aux réflexions et aux analyses sur la manière d’avancer sur notre continent, de manière originale et innovante, en tenant compte de la grande diversité du continent et en encourageant les initiatives à l’échelle nationale, régionale et continentale. Nous sommes une initiative communautaire, ce qui signifie que nous ne sommes pas soutenus par de grandes entreprises et restons indépendants. Nous avons pu lancer le site internet en septembre 2015 financé par les ressources internes des membres de l'association, c'est-à-dire les cotisations et les dons, et nous avons ensuite reçu une subvention de l'Open Society of West Africa, dont la philosophie est compatible avec celle de WATHI. Nous bénéficions également du soutien apporté par les amis de WATHI – toute personne physique ou morale qui le souhaite peut contribuer – et je voudrais citer ici la société Dalberg, qui est également un partenaire précieux à Dakar.
Pouvez-vous nous donner quelques exemples de fonctionnement de WATHI ?
Chaque trimestre, nous lançons un nouveau thème de discussion et nous appelons à des contributions sur ce thème via Internet et les réseaux sociaux. L’équipe WATHI sélectionne un grand nombre de documents, articles de recherche, rapports de diverses organisations et vidéos, également en rapport avec le thème de discussion. Nous collectons ces ressources ainsi que les articles proposés par les experts et la communauté, et les meilleurs commentaires reçus via les réseaux sociaux, sur une page spécifique de notre site dédiée à chaque thème. L’équipe élabore ensuite un document de synthèse qui présente cinq grandes recommandations. Pour mémoire, ces derniers mois, nous avons évoqué la corruption, le travail des enfants, la valorisation de notre culture, l’éducation, les institutions politiques, la santé reproductive, etc. En ce moment, jusqu’à fin juin, nous accueillons des contributions sur le thème : « Comment améliorer la gouvernance et l’efficacité des organisations régionales ouest-africaines ? ». L’idée est de sortir du modèle traditionnel d’analyse réservé aux experts et aux décideurs, pour aller vers un forum ouvert où chacun peut contribuer sur des sujets d’intérêt général qui touchent directement chaque pays de la région, dans le but de chercher des solutions. Mais le débat WATHI n’est qu’une des rubriques du site. Il existe également la rubrique « Passerelle », destinée à partager des connaissances et des regards d’une génération à l’autre, avec des entretiens approfondis avec des personnalités connues ou moins connues, qui ont eu une vie professionnelle et personnelle particulièrement riche en expériences. Chacune des rubriques est une manière spécifique de diffuser des connaissances et de susciter une analyse approfondie de nos sociétés.
Vous pouvez également participer aux réflexions et analyses de WATHI sur les solutions aux défis auxquels l'Afrique est confrontée au 21e siècle en vous connectant sur le site !