L’Ivoirienne qui rêvait du froid… Entretien avec Hana Diarrassouba, étudiante à Sciences Po Paris

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Dynamique et déterminée, pas du genre à se laisser faire, Hana Diarrassouba a rejoint Sciences Po Paris en 2014 dans le cadre du programme Europe-Afrique, après avoir obtenu son baccalauréat au lycée Blaise Pascal d’Abidjan. Un choix pas forcément facile, mais qu’elle ne regrette pas. Elle nous parle ici de son expérience d’étudiante africaine dans des établissements d’enseignement supérieur en France et au Canada, où elle est actuellement en programme d’échange avec l’Université de Montréal.

Pouvez-vous nous parler de votre parcours scolaire jusqu'au Bac ? 

J'ai toujours vécu et étudié à Abidjan en Côte d'Ivoire, où j'ai fréquenté plusieurs écoles avant d'aller au Lycée Blaise Pascal de la 4ème à la Terminale. Je suis passionnée par la littérature alors j'ai décidé d'intégrer la série Littérature.

A quel moment as-tu commencé à réfléchir à ce que tu ferais après le Bac ? Quelles voies différentes as-tu envisagées ? Quels pays/systèmes ? Pour quelles raisons ?

La question de savoir quoi faire après le bac s'est posée en terminale. En fait, je suis quelqu'un qui anticipe beaucoup, donc il fallait que je trouve une place. Mon premier choix était Sciences Po mais je ne pensais vraiment pas avoir les capacités d'y entrer, surtout au vu de mes résultats en terminale. J'ai commencé à envisager Sciences Po après la crise post-électorale de 2010/2011 dans mon propre pays. J'ai réalisé que la Côte d'Ivoire avait besoin de gens qui ont fait des études politiques, qui ont une certaine ouverture d'esprit, une nouvelle génération capable de faire bouger les choses dans le futur.

Mon deuxième choix s’est porté sur une université au Canada. Si Sciences Po était mon premier choix, la France ne l’était pas. Le pays de mes rêves était le Canada, son système et ses habitants. En effet, le Canada accueille beaucoup d’étudiants étrangers et leur offre de meilleures opportunités que la France, en termes de bourses et d’emploi.

Au final, où avez-vous postulé ? Était-ce compliqué de postuler pour étudier à l'étranger ? Quelles ont été les principales difficultés liées aux différentes inscriptions ?

J'ai donc postulé au programme Europe-Afrique de Sciences Po, mais j'ai aussi postulé dans plusieurs universités françaises (la Sorbonne, l'Université Catholique de Lille, etc.) en guise de réserve. J'ai aussi postulé dans trois universités canadiennes ; l'Université Laval était toujours mon premier choix au Canada.

Faire une demande à l'étranger n'était pas si compliqué que ça, car tout se fait en ligne aujourd'hui grâce à Internet.

Les problèmes logistiques tels que l'envoi et la réception de documents officiels peuvent être plus difficiles, car les services postaux ne sont pas très développés dans nos pays et nous devons donc utiliser de grandes entreprises comme DHL ou Chronopost, ce qui est très coûteux.

Quand avez-vous su lesquelles de vos candidatures avaient été retenues ? Comment avez-vous fait votre choix ? Avec le recul, qu'en pensez-vous aujourd'hui ?

J’ai reçu mes admissions dans les universités canadiennes peu avant de passer mon bac, ainsi que dans les universités françaises. La réponse de Sciences Po est arrivée quelques jours avant les résultats du bac. J’avais déjà commencé les démarches pour le Canada, car j’ai été acceptée à l’Université Laval. Mais lorsque j’ai reçu la réponse de Sciences Po, j’étais très incertaine quant à mon choix. Devais-je aller à Sciences Po, mais devoir vivre en France – un pays qui n’a encore qu’un attrait limité pour moi – ou aller vivre mon « rêve nord-américain » ?

Je pense que j’ai fait mon choix en fonction de la réaction de mes parents, de mes amis proches et de ma famille. Ils étaient tellement fiers que j’aie été acceptée à Sciences Po. Pour eux, il n’y avait aucun doute. J’ai donc choisi Sciences Po car pour moi, l’institution passait avant le pays. Vivre en France serait un « sacrifice » de 5 ou 6 ans, avant de pouvoir rentrer chez moi ou partir ailleurs.

Durant ma première année à Sciences Po, j'ai regretté ma décision, car c'était très difficile et je me disais que j'aurais été plus épanouie au Canada, mais avec le temps, il est devenu évident que j'avais fait le bon choix.

Avez-vous eu des surprises à votre arrivée à Paris ? L’adaptation a-t-elle été difficile ? Pourquoi ?

En arrivant à Paris, je n’ai pas eu de surprise particulière. Mon père m’a accompagné, ainsi que ma sœur qui était déjà étudiante à Paris. C’est donc en découvrant ma chambre d’étudiante que j’ai vraiment compris que je passais à une autre étape de ma vie, loin de mes parents et du filet de sécurité de ma famille.

Sciences Po est un cursus très difficile, surtout la première année où il faut gérer beaucoup de choses en même temps… le nouvel environnement, les émotions, PARIS et les premières mauvaises notes. J’ai eu les pires notes de ma vie lors de mon premier semestre à Sciences Po. Je l’ai très mal pris, mais c’est normal quand on pense être un étudiant brillant et qu’on se retrouve soudain au milieu de gens bien plus brillants. On apprend de cela, on devient humble. Paris n’est pas une ville facile à vivre, à cause des longues distances à parcourir, surtout quand on finit les cours à 21h (en hiver !).

Mais on s'y habitue très vite, car on rencontre des gens qui ont vécu les mêmes difficultés et qui ont quand même progressé, ce qui est très motivant.

Parlons du programme Europe-Afrique de Sciences Po Paris. Qu'avez-vous étudié ? Quels sont ses points forts ? Y a-t-il des points qui pourraient être améliorés ?

Le programme Europe-Afrique a été créé en 2012 avec pour objectif d'élargir les horizons de Sciences Po sur ce continent. C'est un programme très riche, notamment sur le plan humain. En effet, j'y ai rencontré des gens du monde entier, pas seulement d'Afrique ; j'y ai rencontré une diversité culturelle et une ouverture d'esprit.

Dans le cadre du programme Europe-Afrique, vous étudiez les matières fondamentales proposées par Sciences Po (microéconomie, macroéconomie, sociologie, Histoire…) ainsi que les matières liées à l’Afrique – son histoire, sa géopolitique et ses enjeux – et les trois langues africaines proposées (swahili, arabe ou portugais).

Le point fort du programme est sa diversité, ainsi que les cours sur la géopolitique africaine ; j'ai énormément appris auprès de professeurs exceptionnels.

En termes d'amélioration, c'est d'abord le sentiment que je ne suis pas prise au sérieux par l'administration, contrairement aux autres étudiants. Cependant, depuis le déménagement à Reims, il y a eu tellement de changements positifs comme le fait que nous ayons un campus, des cours plus spécifiques et des liens beaucoup plus forts entre les étudiants du programme.

Pensez-vous que les étudiants africains sont bien accueillis, à Sciences Po et/ou en France ?

Oui, les étudiants africains sont les bienvenus à Sciences Po. C’est vrai qu’on doit parfois faire face à l’ignorance de certains, à des questions clichées du genre « si tu es à Sciences Po, ça veut dire que ton père est un homme politique dans ton pays, tu n’as pas honte d’utiliser l’argent de ton pays ? » (D’ailleurs, mon père n’est absolument pas un homme politique) [rires].

En France, le plus dur est la question des papiers. Les démarches administratives sont très fastidieuses, notamment à Paris. On arrive en France avec un visa étudiant. A l'arrivée, en plus de ce visa, il faut passer une visite médicale pour obtenir une vignette. Puis, quelques mois plus tard, il faut demander un titre de séjour, précédé d'un récépissé. C'est le même processus tous les ans, pendant cinq ans. On peut très vite se sentir dépassé par tout ça, et certaines personnes rencontrent de nombreuses difficultés, selon l'endroit où elles vivent (Paris ou banlieue).

Vous êtes en programme d’échange à Montréal cette année. Comment et pourquoi avez-vous choisi cette option ?

Comme je l’ai mentionné plus tôt, le Canada était mon deuxième choix (ou même mon premier choix) pour mes études. Quand je suis arrivée à Sciences Po, je me suis dit que pour mon année à l’étranger, je pouvais aller au Canada.

Montréal a été mon premier choix car c'est une ville très cosmopolite et multiculturelle, on peut y rencontrer le monde entier (mon voisin est originaire de Bahreïn). Ensuite, à Montréal, il y avait le choix d'aller dans une université anglophone ou francophone. En me renseignant davantage, je me suis rendu compte que l'Université de Montréal était la seule parmi toutes les universités partenaires de Sciences Po à proposer la communication politique, qui est mon choix pour mon Master.

Si vous deviez comparer vos études à Montréal avec vos études à Sciences Po, et la vie étudiante dans les deux villes, quelles seraient selon vous les forces et les faiblesses de Montréal ?

Les études à Montréal sont moins exigeantes, à mon avis. Les cours sont plus légers et tout est mis en place pour que l'étudiant puisse apprendre les choses qu'il pourra mettre en pratique sur le terrain.

Mes années de licence à Sciences Po ont été très théoriques et le cursus était très intense et très long. Les examens sont très difficiles et les procédures sont strictes. Ici, on connaît le contenu des examens avant d'y aller, et les choses ne sont pas si strictes en termes d'encadrement et de travail.

Pour moi, la vie étudiante à Sciences Po est exceptionnelle. Il y a tellement d'associations auxquelles on peut adhérer. L'environnement restreint fait qu'on sait tout ce qui se passe sur le campus et on peut facilement s'impliquer dans la vie étudiante. C'est plus difficile à Montréal car l'université est immense, avec des dizaines de milliers d'étudiants. C'est difficile de se faire des amis et de s'engager dans une association.

Donc, les points forts de Montréal sont le fait que les cours soient axés sur le côté pratique, ce qui est vraiment passionnant car on voit qu'on a développé une réelle capacité professionnelle à la fin du semestre, et la gentillesse des professeurs, qui font tout pour assurer votre réussite.

Parfois, le degré de clémence peut être un peu choquant (les élèves vont et viennent à leur guise des salles de classe, ils n'ont pas de méthodologie prédéfinie, ils ne viennent pas en cours parce que personne ne les a appelés, etc.). Cela pourrait être amélioré pour créer un meilleur environnement de travail.

Où vous voyez-vous dans trois ans ? Quels sont vos projets ?

Dans trois ans…

Dans trois ans, j'espère obtenir un master en communication à Sciences Po. Je commencerai un Executive Master en médias et politique à la LSE ou à l'université George Washington, et je travaillerai dans une agence de communication politique et de relations publiques. Ce serait mon poste idéal. Mais j'envisage aussi l'option de retourner en Afrique dès la fin de mon master. Plus j'avance, plus j'ai de doutes sur cette option. Je pense que je sais mieux où je serai dans cinq ans que dans trois ans, professionnellement parlant. Mais dans trois ans, je me vois aussi diriger ma propre ONG de leadership féminin, « LeadHer », que j'ai fondée cette année avec une amie et qui vise à promouvoir le rôle des femmes en Afrique de l'Ouest.

Quels conseils donneriez-vous aux étudiants africains pour poursuivre leurs études, d’après votre expérience ? Comment peuvent-ils se préparer au mieux à la vie après le Bac ?

Tout d'abord, de nombreux étudiants africains choisissent de suivre les parcours d'études choisis par leurs parents. C'est une erreur, car en fin de compte, ce ne sont pas les parents qui doivent faire face aux défis que cela implique. Ensuite, il faut commencer à penser à l'université dès le début de son cursus universitaire et non en dernière année, car c'est son avenir qui est en jeu et il faut le prendre au sérieux. Cela permet aussi à ceux qui n'ont pas beaucoup d'argent de passer plusieurs mois à se renseigner sur les bourses et autres possibilités.

La meilleure façon de préparer ses études post-bac est d'en faire une priorité très tôt. Participez à des conférences sur les universités locales et étrangères, allez sur des forums et participez à des groupes sur les réseaux sociaux. Faites connaissance avec des personnes qui étudient des sujets qui vous intéressent, etc.

Enfin, posez-vous les questions suivantes : Qu'est-ce que je veux faire ? Où est-ce que je veux étudier ? Où est-ce que je me vois dans cinq ans ? … dans dix ans ? Quels sont mes objectifs à court et à long terme ? En adoptant cette approche, vous serez prêt à la fin de la 12e année.

Connaissez-vous le programme IB ? Qu'en pensez-vous ?

Je trouve que c'est une très bonne chose. J'en ai eu connaissance plusieurs mois après mon bac, via l'African Leadership Academy, et j'ai vraiment regretté de ne pas m'être renseigné plus tôt. Cela ouvre de nombreuses portes et offre une formation tellement complète qu'à terme, les élèves de l'IB pourront étudier dans de nombreuses matières. De plus, le programme de l'IB vous prépare aux plus grandes universités du monde, ce dont nous rêvons tous.

Ce blog est conçu pour être interactif. Si vous êtes étudiant en Afrique et que vous avez des questions sur vos études à l'étranger, n'hésitez pas à poster vos questions sur ce blog ou à commenter cet article. Vous êtes étudiant africain à l'étranger ? Racontez-nous votre histoire !

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