Les défis africains de l’éducation : retour sur la réflexion menée par Wathi en 2016
Suite de l’interview avec Gilles Yabi fondateur de Wathi
Pourriez-vous évoquer les principaux enseignements de la réflexion de Wathi sur l’éducation?
Nous ne sommes pas des spécialistes de l’éducation, même si Wathi participe de fait à une forme d’éducation populaire citoyenne. Nous essayons de créer des débats structurés sur toutes les questions essentielles et l’éducation est évidemment fondamentale. Lorsqu’on lance un débat sur l’éducation – spécifiquement l’enseignement primaire et secondaire – comme on l’a fait il y a quelques mois, on fait un travail de recherche et de sélection de données et d’analyses très élaborées sur le sujet, provenant de la recherche académique et des institutions spécialisées. Les contributions des acteurs des systèmes éducatifs nationaux permettent d’aller aussi au plus près des fonctionnements et des problèmes réels.
Nous en avons tiré plusieurs enseignements. La première constatation est que pour toutes les personnes qui se sont impliquées dans le débat, l’éducation c’est la priorité des priorités, c’est le moyen transversal pour lutter de manière structurelle contre tous les fléaux : l’insécurité, le chômage des jeunes, les extrémismes, la pauvreté… La seconde constatation qui ressort très nettement des contributions des enseignants, des parents d’élèves, des citoyens ordinaires, c’est que les systèmes éducatifs sont en très mauvais état en Afrique de l’Ouest, les enseignants sont peu ou mal formés, les curricula sont inadaptés aux contextes locaux et régionaux, les systèmes publics se sont souvent effondrés au profit du secteur privé. Les grèves récurrentes dans le secteur dans beaucoup de pays de la région ont des conséquences catastrophiques sur le niveau des élèves même diplômés. Les gouvernements n’ont pas pris la mesure du défi que poserait la croissance démographique pour assurer une éducation de qualité raisonnable à une masse d’enfants de plus en plus importante dans le contexte de ressources budgétaires limitées.
Il ne semble pas non plus qu’il y ait eu une réflexion libérée de tout tabou et de toute influence extérieure sur le type de système éducatif à mettre en place pour répondre aux défis économiques, sociaux, culturels locaux et nationaux tout en s’adaptant au contexte mondial. Quelles sont les compétences nécessaires au modèle économique choisi par le pays ? Quel système d’éducation est à même de répondre à ce besoin de compétences ? Comment intégrer dans le système éducatif l’objectif de construction d’une identité nationale et d’une solidarité régionale sur la base de valeurs partagées ? Faut-il maintenir les enfants dans le système le plus longtemps possible ou diversifier l’offre éducative publique et donner plus d’importance à la réalité de la transmission de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être aux enfants jusqu’à l’âge de 14 ou 15 ans qu’à un objectif de ratio d’enfants ayant réussi le baccalauréat ? Le débat montre qu’il n’y a pas de solution facile mais qu’il faut faire des choix cohérents, réalistes, donc réfléchis.
Quels sont les défis de l’éducation en Afrique aujourd’hui ?
Il faut reconstruire des systèmes éducatifs qui ont été très affaiblis (et parfois cassés) dans les années 80, lorsque les gouvernements africains, passablement endettés, ont été contraints par les bailleurs de fonds internationaux de réduire brutalement et de restructurer leurs dépenses publiques. Les années d’ajustement structurel et de stabilisation macroéconomique ont fini par assainir les finances des Etats mais à un coût faramineux pour toutes les politiques publiques.
Dans beaucoup de pays, les recrutements d’enseignants ont été gelés, des écoles de formation d’instituteurs ont été complètement fermées pendant des années, les conditions de rémunération et de vie des enseignants se sont dégradées, les parents qui le pouvaient se sont massivement orientés vers les nouvelles écoles privées. Cela a cassé la construction des systèmes publics d’éducation.
L’offre privée d’éducation s’est développée à un rythme prodigieux et cette offre est aujourd’hui de qualité très variable et généralement peu contrôlée par les Etats. Il est nécessaire aujourd’hui de donner une cohérence à l’enseignement dans les pays de la zone, en incluant les secteurs publics et les secteurs privés dans le périmètre de réflexion et il faut considérer la formation, la supervision et la revalorisation des enseignants, la révision des contenus et la fin des grèves à répétition dans le secteur comme des priorités absolues.
(Vous pouvez télécharger ci-après les document Mataki et la note WATHI5 avec l’ensemble des analyses et des recommandations formulées)
Que pensez-vous du développement du secteur privé de l’éducation en Afrique ?
Les vingt dernières années ont vu le développement très rapide d’un secteur privé de l’éducation dans la région avec des offres de qualité très variables. Ce système joue un rôle important, il remplit un besoin que le système public ne peut pas honorer, mais il doit être intégré dans l’ensemble du système au niveau d’un pays. Les ministères de l’éducation doivent avoir un regard sur l’ensemble de l’offre éducative, qu’on ne donne pas des autorisations massivement et sans contrôle.
Il faut pouvoir vérifier le respect des engagements en termes de qualité des enseignants et des programmes. Il faut qu’il y ait aussi une cohérence dans le socle de valeurs transmises à travers le système éducatif. Ce qui permet de consolider la construction d’une société en paix et en progrès, c’est d’abord le système éducatif. Le socle de valeurs nationales doit être le même pour tous et correspondre à des choix politiques inscrits dans la longue durée.
C’est d’ailleurs pour cela que l’une des recommandations de la synthèse du débat est qu’il faudrait des autorités supérieures de l’éducation nationale distinctes et indépendantes des gouvernements qui se préoccupent des choix fondamentaux de longue durée à faire pour les systèmes éducatifs, de manière à fixer des caps qui ne sont pas chaque fois modifiés à l’occasion de changements d’équipes gouvernementales.
Dans ce cadre, que pensez-vous des initiatives de type Enko ?
Tout ce qui concourt à répondre aux besoins éducatifs importants en Afrique est positif. Le projet Enko est porté par des gens qui ont un souci de servir l’intérêt général du continent dans le domaine qui, je le rappelle, est la priorité parmi toutes les priorités. J’ai l’impression qu’il y a une volonté de participer à la proposition d’un début de solution, un socle d’enseignement standard qui permet d’intégrer des spécificités locales et en même temps des enseignements correspondant à la formation de futurs citoyens d’un monde interconnecté et culturellement très métissé. Les écoles Enko correspondent à cette idée et elle est assurément intéressante. L’important pour moi c’est qu’il y ait une réflexion permanente et des ajustements pour assurer la cohérence de l’offre éducative nécessairement diversifiée au niveau de chaque pays et, idéalement dans un second temps au niveau de chaque communauté régionale africaine.
Vous voulez en savoir plus sur les écoles Enko? N’hésitez pas à nous écrire en commentaire de ce post ou à l’adresse contact@enkoeducation.com